À première vue, la levada Nova de Ponta do Sol ressemble à beaucoup d’autres canaux d’irrigation de Madère : un étroit sentier longeant un ruban d’eau, accroché au flanc de la montagne. Pourtant, derrière ce tracé apparemment simple se cache un paysage beaucoup plus complexe, où s’entremêlent ingénierie traditionnelle, microclimats, terrasses agricoles et points de vue vertigineux sur la côte sud de l’île.
Comprendre la levada Nova de Ponta do Sol avant de chausser ses chaussures
Une levada emblématique du versant sud de Madère
Située sur la côte sud-ouest de Madère, la levada Nova de Ponta do Sol domine l’un des villages les plus ensoleillés de l’île. La région de Ponta do Sol bénéficie d’un microclimat particulièrement doux, favorable aussi bien aux cultures qu’aux randonnées presque toute l’année. Marcher le long de cette levada, c’est suivre la ligne de partage entre le monde agricole traditionnel et la nature plus sauvage qui remonte vers le cœur montagneux de l’île.
Cette levada appartient au réseau très étendu de canaux creusés dès le XVIe siècle pour acheminer l’eau des régions humides du nord et des hauteurs vers les pentes plus sèches du sud. Le sentier que vous parcourez aujourd’hui était autrefois un accès technique réservé aux levadeiros, ces gardiens chargés de l’entretien et de la répartition de l’eau.
Niveau de difficulté et profil du sentier
La levada Nova de Ponta do Sol est souvent classée de facile à modéré, mais cette appréciation peut être trompeuse si l’on ne tient pas compte de certains points spécifiques :
- Distance : en fonction du tronçon choisi, on peut varier entre une courte balade et une randonnée de plusieurs heures (souvent autour de 8 à 10 km aller-retour pour l’itinéraire le plus fréquenté).
- Dénivelé : le sentier suit la levada, donc le dénivelé est généralement faible, mais certains accès demandent un peu de grimpette au départ ou au retour.
- Exposition : quelques portions sont légèrement aériennes, avec un vide sur le côté, parfois protégé par une rambarde, parfois non. Elles restent accessibles à la plupart des randonneurs, mais peuvent être impressionnantes pour les personnes sujettes au vertige.
- Revêtement : terre battue, dalles de pierre et passages parfois glissants par temps humide ou après la pluie.
Le chemin ne présente pas de grandes difficultés techniques, mais nécessite de rester concentré, surtout dans les passages étroits ou près des tunnels. Le port de chaussures de randonnée fermées avec une bonne accroche est fortement recommandé.
Accès, durée et meilleur moment pour partir
On rejoint généralement la levada Nova de Ponta do Sol en voiture ou en bus, depuis Funchal ou les autres villages de la côte sud. Plusieurs points d’accès existent, certains plus directs que d’autres, avec parfois un petit chemin d’approche à travers les cultures ou les ruelles d’un hameau.
- Durée moyenne : comptez entre 3 et 4 heures de marche aller-retour pour un parcours standard, avec le temps nécessaire pour les photos et les pauses.
- Saison : possible presque toute l’année, grâce au climat de la côte sud. L’hiver peut être plus humide, avec une végétation très luxuriante ; le printemps et l’automne offrent souvent les meilleures conditions.
- Horaires : privilégiez le matin pour profiter d’une lumière douce sur la vallée et éviter les éventuelles chaleurs de l’après-midi en été.
Pour préparer plus finement votre sortie, points de départ, cartes et variantes d’itinéraire sont détaillés dans notre dossier complet sur cette randonnée à la levada Nova de Ponta do Sol, avec des informations mises à jour régulièrement.
Ce que le sentier laisse entrevoir : la “façade” visible de la levada
Une marche suspendue entre océan et ravins
Les premiers mètres donnent souvent le ton : un sentier étroit, bordé par le canal, domine une vallée profonde où alternent bananeraies, toits de tuiles rouges et patchwork de terrasses. Le regard est immédiatement attiré vers l’océan, qui s’ouvre au loin, d’un bleu intense. Par temps clair, la ligne d’horizon semble se fondre dans le ciel, offrant ce sentiment caractéristique de Madère d’être au bord d’un continent suspendu au-dessus de l’Atlantique.
Au fil de la marche, le paysage se resserre. On quitte progressivement les abords les plus urbanisés pour pénétrer dans un univers plus rural, où les maisons deviennent plus rares et les cultures grimpent sur des pentes inimaginables. La levada devient alors un fil conducteur qui relie les différents niveaux de la montagne, comme si elle cousait entre elles les strates de la vallée.
Les cultures en terrasses : une leçon de géométrie madérienne
Les terrasses agricoles – les fameux poios – sont l’un des éléments les plus marquants du paysage. Elles ne sont pas seulement photogéniques : elles racontent plusieurs siècles de travail acharné pour domestiquer ces pentes abruptes. Vue depuis le sentier, cette mosaïque de parcelles dessine une géométrie complexe :
- Les bananiers sur les niveaux inférieurs, bénéficiant de la douceur du climat et d’une irrigation plus généreuse.
- Les vignes et cultures mixtes un peu plus haut, souvent mêlées à des arbres fruitiers (avocatiers, papayers, agrumes) autour des maisons.
- Les zones plus sauvages ou en jachère, envahies par les fougères, les bruyères et parfois des plantes introduites comme les agapanthes ou les hortensias.
Chaque terrasse est retenue par un muret de pierres sèches, une technique ancestrale qui permet de stabiliser le sol et de gérer au mieux l’eau apportée par la levada. En observant attentivement, on aperçoit parfois de petites rigoles secondaires descendant des canaux principaux vers les cultures, preuve que l’eau est ici une ressource précieuse, soigneusement distribuée.
Les points de vue clés le long du parcours
Plusieurs secteurs de la levada Nova de Ponta do Sol offrent des panoramas particulièrement spectaculaires :
- Les belvédères naturels au-dessus du village, où l’on profite d’une vue plongeante sur les toits rouges, la route littorale et la mer.
- Les sections au-dessus des ravins, où la levada suit le contour de gorges profondes, donnant parfois l’impression de flotter dans le vide, avec le bruit de l’eau en contrebas.
- Les zones plus ombragées, où le paysage s’adoucit : troncs moussus, fougères géantes, petites cascades qui viennent alimenter ou traverser le canal.
Ces contrastes rapides entre lumière et ombre, entre ouverture sur la mer et replis de ravins encaissés, font tout l’intérêt de l’itinéraire. Ils permettent de saisir la grande diversité de paysages qu’offre la seule région de Ponta do Sol.
Le paysage caché derrière le sentier : ce que la levada raconte en silence
L’ingénierie invisible des levadas
Si la levada Nova semble suivre docilement la courbe de la montagne, son tracé résulte en réalité d’un calcul minutieux. La pente doit être suffisamment faible pour que l’eau circule lentement, sans éroder les parois, mais assez marquée pour éviter les stagnations :
- Une inclinaison moyenne de l’ordre de quelques millimètres par mètre, ajustée au fur et à mesure du relief.
- Des points de dérivation plus ou moins visibles, permettant de répartir l’eau vers différents hameaux ou vers d’autres levadas.
- Des sections souterraines ou en tunnel destinées à traverser des arêtes rocheuses instables ou à contourner des ravins trop profonds.
Pour le randonneur, ces choix techniques se traduisent par une alternance de passages ouverts et de portions “cachées”. Lorsqu’on traverse un tunnel, l’on suit en fait la logique de l’eau, qui emprunte le chemin le plus sûr à long terme, même si ce n’est pas le plus direct en surface.
Les tunnels et passages creusés dans la roche
Plusieurs tronçons de la levada Nova comportent des petits tunnels ou des encorbellements creusés dans la roche. Ils ajoutent une dimension quasi souterraine au parcours :
- Longueur variable : de quelques mètres à des sections plus longues où une lampe frontale devient utile.
- Sol parfois humide : gouttes d’eau, petites flaques, mousse… autant d’indices d’une infiltration continue.
- Température plus fraîche : contraste agréable lors des journées chaudes, mais attention aux écarts brusques pour les personnes sensibles.
Ces tunnels ne sont pas de simples curiosités : ils témoignent d’un énorme travail à la pioche et au burin, réalisé à une époque où les moyens mécaniques étaient quasi inexistants. En imaginant les levadeiros progresser dans l’obscurité, on perçoit mieux la dimension humaine cachée derrière ce paysage d’apparence paisible.
Un corridor de biodiversité discret
La levada n’achemine pas que de l’eau : elle transporte aussi de la vie. Le long du canal, la végétation se développe de manière plus dense que sur les pentes sèches voisines. Ce ruban humide forme un véritable corridor de biodiversité :
- Plantes hygrophiles (aimant l’humidité) colonisent les berges : mousses, fougères, petites plantes à fleurs qui varient selon la saison.
- Oiseaux profitent de ce corridor pour se nourrir et se déplacer, notamment des espèces communes de Madère comme le pinson des arbres ou le merle noir.
- Insectes et petits invertébrés trouvent refuge dans les murs de pierre, les fissures des berges ou les berges ombragées.
En prenant le temps d’observer calmement, surtout dans les sections les plus calmes éloignées des villages, on découvre un paysage beaucoup plus vivant qu’il n’y paraît. Le murmure de l’eau masque parfois les bruits discrets de cette faune, mais une pause silencieuse suffit souvent à les révéler.
Le paysage sonore : l’autre relief de la levada
Derrière l’image, la levada Nova de Ponta do Sol offre un paysage sonore tout aussi riche. Au départ, dominent les bruits du village : voitures lointaines, voix, aboiements. Peu à peu, ces sons laissent place à un univers plus naturel :
- Le flux régulier de l’eau dans le canal, parfois ponctué de petits débordements ou cascades de dérivation.
- Le vent qui s’engouffre dans les vallons, agite les feuilles de bananiers ou fait vibrer les cannes de maïs sur les terrasses.
- Les oiseaux qui marquent les changements de milieu : chants plus variés dans les zones boisées, plus discrets près des cultures intensives.
Ce paysage sonore évolue au cours de la journée et selon la météo. Par temps de pluie ou après un épisode humide, le débit peut augmenter, rendant la présence de l’eau plus spectaculaire, voire bouillonnante dans certains rétrécissements.
Lire le territoire à travers la levada : culture, histoire et usages
La levada comme colonne vertébrale de la vie rurale
La levada Nova de Ponta do Sol n’est pas un simple itinéraire de randonnée ; c’est, pour les habitants, un axe de circulation et une ressource vitale. En la longeant, on entrevoit des scènes de la vie quotidienne :
- Habitants se rendant à leurs parcelles, outils à la main, en empruntant le même sentier que les marcheurs.
- Jardins potagers de proximité, installés au plus près de la levada pour bénéficier d’un accès direct à l’eau.
- Petites installations artisanales, parfois presque invisibles, qui s’appuient sur un dérivatif de la levada (anciens moulins, systèmes d’arrosage, bassins de stockage).
Chaque détail – un escalier abrupt, une porte en bois dans un mur de pierre, un petit pont rudimentaire – signale un lien entre le canal et la vie des habitants. Le paysage que l’on traverse est à la fois naturel et habité, façonné par des décisions collectives sur l’usage de l’eau.
Les levadeiros, gardiens discrets du paysage
Derrière l’entretien de la levada se cache une figure clé : le levadeiro. Chargé de surveiller le bon fonctionnement du canal, de gérer la répartition de l’eau et de signaler les problèmes (fuites, éboulements, végétation envahissante), il est le garant de la pérennité de ce paysage :
- Contrôle régulier des parois et des joints entre les pierres.
- Nettoyage des feuilles, branches ou débris pouvant obstruer le flux.
- Dialogue constant avec les agriculteurs et les habitants pour planifier les périodes d’irrigation.
Pour le visiteur, la présence du levadeiro se devine à des détails : outils posés sur un muret, marques de réparations récentes, petites vannes métalliques au bord du canal. Ces traces rappellent que le sentier n’est pas une simple promenade scénarisée, mais un espace de travail vivant.
La cohabitation entre randonneurs et habitants
Le succès grandissant de la levada Nova auprès des visiteurs implique une cohabitation délicate. Pour préserver l’équilibre, quelques bonnes pratiques permettent à chacun de profiter du lieu sans nuire à ses usages traditionnels :
- Rester sur le sentier et éviter de pénétrer dans les parcelles privées, même si elles semblent proches ou accessibles.
- Respecter le calme des lieux dans les zones habitées, en particulier près des maisons et des petits hameaux.
- Laisser libres les points d’accès à l’eau, les petites vannes et les passages techniques, pour ne pas gêner les levadeiros ou les agriculteurs.
- Emporter tous ses déchets, y compris les déchets organiques, pour éviter d’attirer les animaux et de dégrader le site.
Cette attitude respectueuse permet de maintenir l’authenticité du paysage et d’éviter que la levada ne se transforme en simple “parc à touristes”. Le charme de la randonnée tient justement à ce mélange subtil entre nature, travail humain et lenteur du canal.
Conseils pratiques pour profiter pleinement du paysage caché
Équipement, sécurité et gestion du vertige
Pour apprécier le paysage sans se laisser surprendre par certaines portions plus délicates, il est conseillé de prendre quelques précautions :
- Chaussures de randonnée fermées avec bonne semelle antidérapante, indispensables sur les parties humides et étroites.
- Lampe frontale ou petite lampe de poche pour les tunnels les plus sombres, même s’ils ne sont pas très longs.
- Vêtements adaptés aux variations de température : il peut faire plus frais à l’ombre ou en fin de journée.
- Bouteille d’eau et en-cas, car il n’y a pas de points de ravitaillement le long de la levada.
Pour les personnes sujettes au vertige, il peut être utile de :
- Marcher du côté intérieur du sentier, près de la levada, en évitant de regarder directement vers le vide.
- Rester dans un rythme régulier de marche, sans s’arrêter dans les passages les plus exposés.
- Préférer les heures de moindre affluence pour ne pas se sentir pressé ou bousculé.
Moments de la journée et conditions météo idéales
Les conditions lumineuses jouent un rôle majeur dans la perception du paysage. Sur la levada Nova de Ponta do Sol, certains créneaux horaires permettent d’en révéler les multiples facettes :
- Matinée : lumière rasante sur les terrasses et le village, atmosphère plus fraîche, idéale pour la montée progressive sur le flanc de la montagne.
- Milieu de journée : vues plus dégagées sur l’océan, contrastes plus forts entre ombre et lumière dans les ravins.
- Fin d’après-midi : teintes dorées sur les cultures, mais attention à ne pas terminer trop tard, surtout en hiver lorsque la nuit tombe vite.
Par temps couvert, la randonnée reste très intéressante : la lumière diffuse met en valeur les nuances de vert des terrasses et des forêts, et les nuages bas peuvent créer une ambiance mystérieuse dans les sections plus élevées.
Observer, photographier, interpréter
Pour ceux qui souhaitent véritablement “lire” le paysage caché derrière le sentier, quelques habitudes d’observation enrichissent la marche :
- Prendre le temps de comparer les usages du sol d’un versant à l’autre : cultures, friches, boisements, constructions.
- Repérer les points de rupture dans la continuité de la levada : tunnels, ponts, dérivations, zones récemment rénovées.
- Photographier non seulement les panoramas, mais aussi les détails : une vanne, un muret, une plante particulière sur la berge.
Ces petits exercices transforment la randonnée en véritable exploration du territoire, où chaque tournant de sentier offre de nouveaux indices sur la façon dont les habitants ont apprivoisé ce relief abrupt. La levada Nova de Ponta do Sol devient alors plus qu’un itinéraire : un fil conducteur pour comprendre l’intime relation entre Madère, son eau, ses pentes et ceux qui y vivent.

