Arpenter une levada à Madère, c’est déjà une expérience unique : marcher le long de ces canaux d’irrigation centenaires permet de traverser la forêt primaire, de longer des falaises vertigineuses et de découvrir des villages isolés. Mais il est possible d’aller plus loin que la simple randonnée « carte en main ». En changeant de point de vue, en sollicitant tous vos sens et en choisissant certains itinéraires clés, vous pouvez vivre ces sentiers emblématiques d’une manière totalement différente.
Comprendre les levadas de Madère pour mieux les vivre
Un réseau historique qui structure les paysages
Les levadas sont des canaux d’irrigation creusés à flanc de montagne pour transporter l’eau du nord humide vers le sud plus sec de l’île. Sur plus de 2 000 km, elles dessinent un maillage de sentiers étroits qui servent à la fois aux agriculteurs, aux habitants des villages reculés et aux randonneurs.
Comprendre leur rôle historique aide à changer votre regard : vous ne marchez pas seulement sur un « joli sentier », mais sur une véritable infrastructure vitale, construite à mains nues, parfois au prix de travaux vertigineux au-dessus de précipices. Chaque virage, chaque pont, chaque tunnel témoigne de l’ingéniosité des Madeirens.
Une façon unique de traverser tous les étages de la végétation
Suivre une levada, c’est aussi observer, presque en direct, la transition entre plusieurs climats. Les randonnées peuvent débuter dans une vallée chaude et cultivée, grimper sous la canopée humide de la laurisilva, puis déboucher sur des crêtes balayées par le vent. Les plus belles levadas sont précisément celles qui vous font passer d’un univers à l’autre sans transition brutale, comme si vous tourniez les pages d’un livre illustré.
Pour apprécier pleinement cette diversité, prenez le temps de repérer les changements de végétation : fougères géantes qui apparaissent soudain, mousses épaisses sur les pierres, arbres entremêlés qui filtrent la lumière. En vous focalisant sur ces détails, votre perception de la randonnée se transforme en exploration sensorielle.
Expériences sensorielles le long des plus belles levadas de Madère
Jouer avec la lumière et les ombres dans la laurisilva
La forêt de laurisilva de Madère, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, est l’un des décors les plus magiques pour une randonnée le long d’une levada. Pour la découvrir autrement, concentrez-vous sur la lumière. Par temps nuageux ou brumeux, les rayons du soleil filtrent entre les branches, créant une atmosphère presque irréelle.
- Observez les halos de lumière sur la surface de l’eau de la levada.
- Notez comment les ombres des feuilles se dessinent sur les murets de pierre.
- Photographiez les contrastes entre les troncs sombres et les tâches lumineuses sur le sol.
Certains tronçons de levadas offrent un spectacle particulièrement marquant tôt le matin ou en fin d’après-midi. Si votre planning le permet, prévoyez un départ décalé pour vivre ces jeux de lumière, même sur un itinéraire réputé fréquenté : une simple différence d’horaire peut transformer votre expérience.
Écouter l’île : eau, oiseaux et silence
Le son fait partie intégrante de la découverte des levadas. Au lieu de parler en continu ou de marcher avec de la musique dans les oreilles, accordez-vous de longues séquences de silence. Vous entendrez :
- Le clapotis régulier de l’eau qui s’écoule dans le canal, plus ou moins rapide selon la pente et le débit.
- Le chant des oiseaux endémiques, particulièrement actif au lever du jour.
- Les chutes d’eau lointaines en contrebas, comme un grondement discret.
- Le craquement des feuilles et des branches lorsqu’un lézard ou un petit oiseau se faufile.
Ces sons changent selon l’altitude et la saison. En hiver ou au printemps, les levadas sont souvent plus remplies, donnant un bruit d’eau plus puissant. En été, le chant des insectes se rajoute à la symphonie. Plutôt que de ne voir les levadas qu’avec vos yeux, pensez à les « cartographier » avec vos oreilles.
Sentir l’humidité, la mousse et les fleurs
Madère est surnommée « l’île aux fleurs » pour de bonnes raisons, et les levadas en offrent de beaux exemples. Certains tronçons sont bordés d’hortensias, d’agapanthes ou de massifs de fleurs sauvages. L’humidité constante maintient une palette d’odeurs végétales souvent méconnues des randonneurs pressés.
Prenez l’habitude de vous arrêter près des murs de pierre recouverts de mousse : l’odeur de terre mouillée et de végétation y est particulièrement intense. Après une petite averse, ce parfum se renforce et transforme complètement la sensation de marche. En saison de floraison, l’air peut être subtilement parfumé par les fleurs des talus, surtout en fin de journée, lorsque la température baisse.
Toucher la pierre, l’eau et la végétation
Sans mettre en danger la flore locale ni sortir du sentier, utilisez aussi le toucher pour enrichir votre découverte des levadas. Le contraste entre :
- la pierre froide et lisse des murets ou des tunnels,
- la rugosité des troncs noueux dans la laurisilva,
- la fraîcheur de l’eau qui file dans le canal,
- la douceur des mousses épaisses sur les rochers
donne une dimension presque tactile au paysage. Ce rapport physique au sentier aide aussi à mieux se souvenir de la randonnée : un passage étroit dans la roche, un pont humide, un parapet moussu deviennent des repères beaucoup plus vivants que la simple photographie d’un panorama.
Changer de point de vue : levadas au lever du jour, de nuit et hors des sentiers battus
Randonner à l’aube pour redécouvrir des itinéraires classiques
De nombreuses levadas très connues, comme celles des 25 Fontes ou de Rabaçal, peuvent paraître bondées si vous les parcourez aux heures de pointe. Une façon simple d’avoir l’impression de « voir autrement » ces incontournables est de partir très tôt, à la première lumière.
En début de journée :
- Les sentiers sont souvent presque vides, ce qui change complètement l’ambiance.
- La brume matinale donne un caractère mystérieux aux forêts et aux vallées.
- Les jeux de lumière du soleil qui se lève créent des reflets dorés sur l’eau des levadas.
- La faune est plus active, vous augmentez donc vos chances d’apercevoir certains oiseaux ou petits mammifères.
Si vous n’êtes pas un randonneur habitué aux départs à l’aube, commencez par un itinéraire relativement court pour profiter de cette expérience sans stress. Le simple fait de changer d’horaire transforme souvent un « classique touristique » en moment privilégié.
Découvrir les levadas de nuit avec un guide
Pour ceux qui souhaitent vivre une aventure vraiment différente, certaines agences locales proposent des sorties en soirée ou à la nuit tombée sur des tronçons de levadas faciles et sécurisés. La randonnée nocturne n’est pas adaptée à tous les publics, mais elle permet d’expérimenter les sentiers de façon radicalement nouvelle :
- Le champ visuel est réduit à la lumière de votre lampe frontale, ce qui aiguise les autres sens.
- Les sons de la nuit, amplifiés par le silence, prennent une dimension impressionnante.
- Les odeurs de la forêt humide se font plus présentes.
- La voûte étoilée, par temps dégagé, offre parfois un spectacle saisissant, surtout sur les parties hautes de l’île.
Ce type d’expérience doit impérativement se faire avec un guide connaissant parfaitement le terrain, notamment pour gérer les passages étroits ou exposés. Il ne s’agit pas de chercher la difficulté, mais de se laisser surprendre par un environnement familier… dans une lumière totalement différente.
Varier les points de vue : aller-retour, boucles et combinaisons
Beaucoup de randonnées le long des levadas se font en aller-retour sur le même tronçon, ce qui peut donner l’impression de « répéter » le paysage. Pour casser cette monotonie, il existe plusieurs stratégies :
- Choisir des itinéraires en boucle, lorsque c’est possible, en combinant une levada avec un sentier de montagne ou un vieux chemin pavé.
- Utiliser un transfert (taxi ou bus local) pour commencer la randonnée à un point différent de celui de l’arrivée.
- Associer deux levadas proches ou communicantes pour créer une journée de marche plus variée.
Cette approche demande une préparation plus précise, mais elle permet de multiplier les angles de vue sur une même vallée ou un même massif. Des itinéraires comme ceux du plateau de Paul da Serra offrent de nombreuses possibilités de combinaisons, avec des perspectives très différentes d’un versant à l’autre.
Quelques levadas emblématiques à vivre autrement
Levada des 25 Fontes et Risco : des cascades à écouter autant qu’à regarder
La levada des 25 Fontes est l’une des plus connues de Madère, souvent présentée comme un passage obligé. Pour éviter de la vivre comme une simple file indienne vers un bassin, changez votre façon de l’aborder.
Commencez tôt ou en décalé, et concentrez-vous sur l’évolution sonore des cascades de Risco et des 25 Fontes. Plus vous approchez, plus le bruit de l’eau se fait présent et se répercute sur les parois rocheuses. Fermez parfois les yeux pour apprécier la puissance du ruissellement avant même de voir les chutes. Cette mise en scène sonore rend l’arrivée aux cascades encore plus marquante.
Pour préparer ce type de visite et découvrir d’autres variantes d’itinéraires possibles, consultez par exemple notre dossier complet sur les plus belles levadas de Madère, qui détaille les points de vue, la difficulté et les sections les plus intéressantes.
Levada do Caldeirão Verde : tunnels, falaises et vert intense
La levada do Caldeirão Verde est célèbre pour ses tunnels et ses passages vertigineux taillés dans la roche, mais c’est aussi l’une des plus belles expériences visuelles de l’île. Pour la vivre différemment :
- Accordez une attention particulière aux nuances de vert autour de vous : fougères, mousses, lianes, arbres tordus se superposent comme sur un tableau vivant.
- Dans les tunnels, ressentez la fraîcheur de l’air, l’humidité sur les parois et le bruit de vos pas qui résonne sur la pierre.
- À la sortie de chaque tunnel, marquez une courte pause : le brusque retour à la lumière et au paysage grandiose provoque un effet de « révélation » à ne pas gâcher en se précipitant.
Les panoramas sur les falaises couvertes de végétation sont spectaculaires, mais ce sont souvent les petits détails – une goutte d’eau suspendue à une feuille, un rayon de lumière qui traverse la brume – qui rendent la randonnée inoubliable.
Levada do Rei : immersion progressive dans la forêt primaire
Moins médiatisée que d’autres, la levada do Rei est pourtant idéale pour une découverte progressive de la laurisilva. On commence dans des zones cultivées, puis la végétation devient de plus en plus dense. C’est un itinéraire parfait pour expérimenter une randonnée « à l’écoute de la forêt » :
- Observez comment les sons du village s’estompent au fil de la marche pour laisser place au murmure de l’eau et au chant des oiseaux.
- Repérez les changements d’odeur à mesure que l’on pénètre dans la forêt humide.
- Notez les différences de température entre les zones ouvertes au soleil et les sections profondément ombragées.
En prenant ce temps d’observation sensorielle, une randonnée simple devient un parcours initiatique dans l’un des écosystèmes les mieux préservés de l’île.
Levada dos Piornais ou levadas urbaines : voir Funchal autrement
Toutes les levadas ne sont pas perdues en pleine montagne. Certaines traversent ou frôlent des zones plus urbanisées, offrant un autre visage de Madère. La levada dos Piornais, par exemple, permet de découvrir les quartiers en hauteur de Funchal, les jardins en terrasses et la manière dont l’eau structure encore aujourd’hui la vie quotidienne.
En parcourant ces levadas urbaines ou périurbaines :
- Observez le contraste entre les maisons modernes, les cultures en terrasse et la levada traditionnelle.
- Écoutez les bruits de la ville qui se mêlent au clapotis de l’eau.
- Multipliez les arrêts pour admirer les vues plongeantes sur la baie de Funchal.
Ces itinéraires rappellent que les levadas ne sont pas seulement des sentiers de randonnée pour touristes, mais des artères essentielles du quotidien des habitants.
Combiner levadas et crêtes pour des points de vue panoramiques
Pour « voir autrement » les levadas, il peut être intéressant de ne pas rester exclusivement au niveau du canal, mais de combiner ces sentiers avec des portions en altitude. Certaines randonnées permettent de monter sur les crêtes avant ou après un tronçon de levada, offrant alors des vues panoramiques sur les vallées entaillées par les canaux.
Depuis ces hauteurs, les levadas apparaissent comme de fines lignes horizontales dans la végétation, révélant la précision de leur tracé. Ce changement de perspective aide à mieux comprendre le travail titanesque réalisé pour détourner l’eau à travers montagnes et ravins.
Il est important dans ce cas de bien évaluer la difficulté totale de la randonnée : les sections de crêtes sont souvent plus exposées au vent et demandent un peu plus de condition physique que les sentiers relativement plats le long des levadas. Mais la combinaison des deux univers – douceur du canal et rude beauté des sommets – offre une expérience particulièrement riche aux randonneurs qui souhaitent dépasser le circuit classique.
En abordant les levadas de Madère avec cette volonté de solliciter tous vos sens, de varier les angles de vue et de jouer avec les horaires et les itinéraires, vous transformez de simples balades en véritables voyages intérieurs. Ces canaux deviennent alors bien plus qu’un décor : ils se révèlent comme le fil conducteur d’une découverte intime de l’île, de sa nature et de sa culture. Chaque levada, même la plus célèbre, peut ainsi être redécouverte, à condition de prendre le temps de l’observer, de l’écouter et de la ressentir autrement.
