Le mot « madère » apparaît souvent dans les recettes gastronomiques, mais il désigne en réalité bien plus qu’un simple ingrédient. Derrière cette appellation se cache un vin fortifié produit sur l’archipel de Madère, au large du Portugal, et utilisé depuis des siècles en cuisine pour sublimer sauces, viandes, poissons et desserts. Pour qui prépare un voyage sur l’île, comprendre ce qu’est le madère en cuisine permet aussi de mieux apprécier la culture locale et de décrypter les cartes des restaurants sur place.
Le madère : un vin de l’Atlantique devenu ingrédient star en cuisine
Un vin fortifié né de la mer et des voyages
Le madère est un vin fortifié produit sur l’île de Madère. Son histoire est intimement liée aux grandes expéditions maritimes. Au départ, ce vin voyageait dans les cales des navires et subissait de fortes variations de température ainsi que de longs séjours en mer. Résultat : des arômes concentrés, caramélisés, oxydés, qui ont séduit les palais européens dès le XVIIe siècle.
Pour reproduire cet effet sans forcément envoyer les tonneaux faire le tour du monde, les producteurs de Madère ont mis au point des méthodes de chauffe contrôlée, donnant au vin ses notes caractéristiques de fruits secs, de noix, de caramel et parfois de café ou de chocolat. C’est cette richesse aromatique qui a très vite intéressé les cuisiniers et, plus tard, les chefs étoilés.
Un vin de Madère, plusieurs styles pour la cuisine
Le madère n’est pas un vin unique : il existe plusieurs types, plus ou moins secs ou sucrés, qui s’utilisent différemment en cuisine. Les principaux styles à connaître sont :
- Sercial (sec) : idéal pour déglacer des jus, préparer des sauces aux notes vives ou accompagner des entrées et des poissons.
- Verdelho (demi-sec) : polyvalent, parfait pour les sauces légèrement sucrées-salées, les viandes blanches ou les plats de volaille.
- Boal/Bual (demi-doux) : convient bien aux sauces pour viandes rôties, gibiers et certains desserts caramélisés.
- Malmsey/Malvasia (doux) : privilégié pour les desserts, réductions sucrées, glaces, pâtisseries et parfois pour napper des fruits poêlés.
En cuisine professionnelle, lorsque la recette mentionne simplement « madère », il s’agit le plus souvent d’un madère de style demi-sec à demi-doux, bien équilibré, qui supporte la cuisson et donne immédiatement du relief au plat.
Comment les chefs utilisent le madère en cuisine
La célèbre sauce madère : un classique de la gastronomie
Le madère est surtout connu pour la « sauce madère », un grand classique des bistrots comme de la haute gastronomie. Cette sauce brune, brillante et parfumée accompagne traditionnellement :
- les viandes rouges (tournedos, filet de bœuf, pavés),
- le veau (grenadins, escalopes, rognons),
- le canard ou le pigeon,
- certains plats de gibier.
Le principe de la sauce madère est simple, mais redoutablement efficace :
- on fait revenir la viande et on récupère les sucs de cuisson,
- on déglace la poêle avec du madère,
- on ajoute un fond brun (fond de veau ou de volaille concentré),
- on laisse réduire pour concentrer les arômes,
- on termine souvent avec une noix de beurre pour donner de l’onctuosité et du brillant.
Le madère apporte à cette sauce une profondeur aromatique incomparable : des notes de fruits secs, de caramel léger, parfois d’épices douces, qui se marient parfaitement avec le côté rôti de la viande.
Un allié des plats mijotés et des ragoûts
Les grands chefs utilisent également le madère dans les plats mijotés. Il donne du relief aux ragoûts et aux braisés en renforçant la complexité des jus de cuisson. On le retrouve ainsi dans :
- des joues de bœuf braisées au madère,
- des ragoûts de veau parfumés,
- des civets de gibier aux saveurs profondes,
- certains plats de porc longuement mijotés.
Dans ces préparations, le madère est souvent ajouté en début de cuisson, puis de nouveau en petite quantité en fin de cuisson pour renforcer le parfum sans renforcer l’alcool (qui s’est déjà en grande partie évaporé).
Usage en cuisine de la mer : poissons et crustacés
Moins connu, l’usage du madère avec les poissons et fruits de mer est particulièrement intéressant. Utilisé avec parcimonie, il rehausse :
- les sauces pour poissons blancs (lotte, cabillaud, sole),
- les préparations de coquilles Saint-Jacques,
- les gambas flambées ou les crevettes sautées,
- certains plats de morue (notamment lorsqu’un côté caramélisé est recherché).
Sur l’île de Madère, on retrouve parfois du madère dans des sauces accompagnant l’espadon, le thon ou la fameuse « espetada » (brochette de bœuf grillé). Les restaurants qui travaillent une cuisine plus créative n’hésitent pas à s’en servir pour moderniser des recettes traditionnelles.
Le madère en pâtisserie et en dessert
Le madère, surtout dans ses versions les plus douces, est aussi très présent en pâtisserie. Il intervient :
- dans les sirops d’imbibage pour gâteaux,
- dans les crèmes (crèmes anglaises, crèmes pâtissières parfumées),
- dans les sauces accompagnant des fruits poêlés (poires, figues, abricots),
- dans certains entremets au chocolat ou au café, où il renforce l’amertume et la profondeur aromatique.
Un simple exemple : des poires pochées dans un sirop au madère, servies avec une glace à la vanille, deviennent instantanément un dessert de restaurant gastronomique. Les notes caramélisées du vin se marient particulièrement bien avec les épices (cannelle, muscade) et la vanille, très présentes dans la cuisine sucrée de Madère.
Madère, Porto, Marsala, Xérès : ne pas confondre en cuisine
Des vins fortifiés cousins, mais pas interchangeables
En cuisine, on a parfois tendance à utiliser indifféremment madère, porto, marsala ou xérès (sherry). Si ces vins partagent des points communs – ce sont tous des vins fortifiés, avec une teneur en alcool plus élevée et des arômes concentrés – ils ne sont pas totalement interchangeables.
Les principales différences à connaître :
- Porto : souvent plus fruité et plus sucré que le madère, avec des notes de fruits rouges et de pruneaux. En cuisine, il donne des sauces plus rondes et plus douces.
- Marsala (Sicile) : très utilisé dans la cuisine italienne, en particulier dans le fameux « marsala all’uovo » ou dans le poulet au marsala. Ses arômes rappellent davantage le caramel et la noisette.
- Xérès (sherry, Andalousie) : extrêmement varié, du très sec au très doux, avec souvent une touche salée et des notes d’amande, de noix et parfois d’olive verte. Idéal pour déglacer les poêlées de champignons ou cuisiner certains plats de poisson.
- Madère : plus oxydatif, avec des notes de fruits secs, de noix, parfois de café, et une acidité soutenue qui équilibre la richesse.
Dans une recette qui demande spécifiquement du madère, le remplacer par un autre vin fortifié change sensiblement le résultat : la sauce sera plus sucrée, plus fruitée ou plus « noisette » selon le vin choisi. Certains chefs jouent volontairement de ces variations, mais pour rester fidèle à la recette originale – et aux saveurs de l’archipel – mieux vaut privilégier un véritable vin de Madère.
Quel madère choisir pour cuisiner chez soi ?
Pour un usage domestique, un ou deux types de madère suffisent largement :
- un madère demi-sec (type Verdelho) pour les sauces salées, les déglaçages, les viandes blanches et les poissons,
- un madère demi-doux ou doux (type Boal ou Malmsey) pour les desserts, les réductions sucrées et les marinades parfumées.
Évitez autant que possible les « vins de cuisine au madère » bon marché, souvent salés, très sucrés ou aromatisés artificiellement. Un vrai madère, même d’entrée de gamme, transformera nettement mieux vos recettes.
Le madère dans la culture culinaire de l’île de Madère
Un ingrédient identitaire, au-delà du simple vin de table
Sur l’archipel, le vin de Madère n’est pas qu’une boisson : c’est un symbole historique et culturel, au même titre que les levadas (canaux d’irrigation), les paysages volcaniques ou les villages perchés au-dessus de l’Atlantique. Il accompagne les célébrations, les repas de fête et se retrouve naturellement dans de nombreuses préparations culinaires.
Lors d’un séjour sur place, vous verrez fréquemment à la carte des restaurants :
- des plats « au madère » (viandes ou poissons nappés de sauce au madère),
- des desserts utilisant ce vin en sirop ou en réduction,
- des accords mets-vins où un verre de madère est proposé pour accompagner certains fromages, foie gras ou pâtisseries locales.
Beaucoup de restaurants traditionnels, notamment à Funchal, Câmara de Lobos ou dans les villages de montagne, jouent sur ce lien entre terroir, vin et cuisine pour offrir une expérience résolument locale.
Expérimenter le madère sur place : visites de caves et dégustations
Lorsque l’on visite l’île, le plus intéressant est de confronter la théorie à la pratique. Plusieurs domaines et maisons historiques de Funchal proposent des :
- visites guidées de chais et de caves,
- explications détaillées sur les cépages et les méthodes de vieillissement,
- dégustations comparatives (sec, demi-sec, demi-doux, doux),
- ateliers d’accords mets-vins incluant parfois des bouchées cuisinées au madère.
C’est l’occasion idéale pour comprendre pourquoi certains styles de madère se prêtent mieux à la cuisine salée et d’autres aux desserts. Pour préparer ce type d’expérience et découvrir d’autres spécialités locales comme l’espetada, la sopa de trigo ou le bolo do caco, vous pouvez consulter notre dossier complet sur les spécialités culinaires de Madère, qui permet de mieux lire les cartes des restaurants avant même d’arriver sur l’île.
Restaurants et plats typiques à goûter pour comprendre le madère en cuisine
Pour saisir tout le potentiel du madère comme ingrédient, quelques plats sont particulièrement parlants lorsqu’on voyage sur l’île :
- Filet de bœuf au madère : une viande tendre nappée d’une sauce brune au madère, souvent accompagnée de légumes et de pommes de terre locales.
- Rognons ou foie de veau au madère : plats de bistrot très savoureux, où le vin équilibre le caractère prononcé des abats.
- Poisson (thon, espadon) avec réduction de madère : le contraste entre la texture ferme du poisson et la sauce légèrement sucrée-salée est particulièrement réussi.
- Desserts flambés au madère : moins courants mais spectaculaires, ils permettent d’apprécier le parfum du vin après flambage, lorsque l’alcool s’est évaporé.
Ces plats ne sont pas systématiquement présents dans tous les restaurants, mais ils figurent régulièrement sur les cartes, surtout dans les adresses qui revendiquent une cuisine « de terroir » revisitée.
Conseils pratiques pour cuisiner le madère chez soi après un voyage
Bien utiliser le madère pour éviter de masquer les saveurs
Le madère est puissant : quelques erreurs fréquentes peuvent gâcher le plat. Quelques règles simples permettent de réussir ses recettes à coup sûr :
- Éviter d’en mettre trop : un excès de madère peut dominer le plat. Mieux vaut commencer par une petite quantité (5 à 10 cl pour une sauce pour 2 à 4 personnes), puis ajuster.
- Le laisser réduire : pour concentrer les arômes et faire évaporer l’alcool, faites bouillir doucement le madère quelques minutes après le déglaçage, avant d’ajouter le fond ou la crème.
- Assaisonner à la fin : le madère étant parfois légèrement salé selon les cuvées, il est préférable d’ajuster le sel en fin de cuisson.
- Choisir le bon style de madère : sec ou demi-sec pour les sauces salées, demi-doux ou doux pour les desserts.
Idées de recettes simples pour prolonger le voyage à Madère
Sans être chef étoilé, il est tout à fait possible d’utiliser le madère au quotidien pour donner une dimension gastronomique à des plats simples :
- Émincé de poulet au madère : faire revenir des lamelles de poulet, déglacer au madère, ajouter un peu de crème et de moutarde, servir avec du riz ou des pâtes.
- Pâtes aux champignons et au madère : faire sauter des champignons avec de l’ail et des herbes, déglacer avec un peu de madère, lier avec de la crème ou un bouillon réduit, puis mélanger aux pâtes.
- Poêlée de crevettes au madère : faire revenir les crevettes à feu vif, déglacer avec du madère, ajouter une pointe de piment et de jus de citron.
- Poires rôties au madère : rôtir des quartiers de poires au four avec un fond de madère, un peu de sucre et de beurre, servir tiède avec une boule de glace.
Ces recettes, faciles à réaliser, permettent de garder un lien gustatif avec Madère bien après le retour du voyage, et d’expliquer à ses proches ce qu’est « le madère » autrement que comme un simple nom de vin.
Accords mets-vins : servir du madère au verre avec vos plats
Pour aller plus loin, on peut non seulement cuisiner avec le madère, mais aussi le servir à table avec le plat :
- un madère sec ou demi-sec avec une entrée de foie gras poêlé ou une volaille en sauce,
- un madère demi-doux avec un plat de viande au madère, pour prolonger les arômes dans le verre,
- un madère doux avec un dessert au chocolat, aux fruits secs ou caramélisés.
Cet accord « vertical » (même vin dans la recette et dans le verre) fonctionne particulièrement bien avec le madère, dont la palette aromatique change au fil de la température de service et de l’aération.

